L’Imzad et moi

Exilée en Angleterre, c’est vers l’Imzad que je reviens. Chaque matin je tente d’accoster dans le monde des vivants en faisant l’effort ultime de me lever pour marcher. Privée de ma famille, de mes amis et de ma terre natale, ma vie est devenue désert. L’Imzad qui m’avait sauvé alors que j’étais perdue dans le vrai désert du Sahara, aujourd’hui c’est encore lui qui me sauve du désert de mon existence.

 

Que de jours sont passés avec le gout amer d’une détresse profonde. Je lave mon visage sans me regarder dans le miroir. Mon mari, mon fils me manquent. Seule, face à l’instant de ce moment présent, je l’entends gémir. C’est l’Imzad qui étouffent les hurlements de mon âme. Je sors de la torpeur qui me noie, je clique sur une playlist que j’ai numérisé d’un des CD audio sur mon ordinateur…. Aujourd’hui encore et toujours je t’écris « Imzad ».

 

J’ai connu le désert. J’ai découvert le Hoggar, son histoire, sa nature, ses hommes et ses coutumes. Pourtant rien ne m’y prédisposait. J’étais comme tout le monde, n’entendant pas et ne voyant pas toutes ces choses qu’on ne voit ni n’entend pour l’unique raison que le moment de le faire n’est pas encore venu. Une chose est certaine, il m’a été donné d’en apprendre énormément sur le désert.

 

Au début du siècle dernier, le poète Khouya Aknar ben Joubbine avait déclamé dans un poème intitulé «Tin Aylanagh» qui est chanté à ce jour par les poètes de l’Ahaggar sur l’air de l’Imzad:

« Yalla ila nagh, yalla ila nagh, yalla ila nagh

A Dieu nous appartenons, à Dieu nous appartenons, à Dieu nous appartenons.

Andihad, dat’amoud, iwt imzad

Hier à l’aube, l’imzad a joué

Immaghane, dagh ghassane yerna hiragh

Il a pénétré mes os allant au-delà de mes pensées

Erna iwillane attouksi ijoujabe

Plus ardent que tous les étés du monde

Ihak, yeghlayénne irakkab tisswad

Je rêve d’être parmi ceux qui sont autour de l’imzad »

 

En chantant cette poésie orale, l’Imzad a été le vecteur porteur de l’épopée guerrière et l’amour auprès des joueuses d’imzad offrant au monde une image chevaleresque du Sahara. Malgré les invasions puniques, romaines, vandales, byzantines, leur langue ne semble pas avoir été altérée par les influences étrangères. Loin d’être simplement un instrument de musique, l’Imzad représente à la fois le passé et le rêve des Touaregs. Il raconte une culture celle de l’amour, et du respect des valeurs humains, il nous apprend une philosophie de vie née dans un espace façonné par une nature rude, dans une terre de civilisation et de créations humaines.

 

Au fil du temps, avec la modernité et le délaissement des activités culturelles traditionnelles, la transmission de cet art était en passe de disparaître . C’est ce constat qui m’avait poussé l’Association « Sauver l’Imzad » à créer une école de formation à l’imzad et entreprendre des travaux pour la sauvegarde de ces traditions musicales, menacées de disparition. J’avais choisi d’aborder l’histoire et le vécu de l’imzad, par l’organisation des colloques internationaux, par des publications et vidéos et des CD audios que je réalisais entièrement bénévolement grâce à l’Association. A ma manière, j’ai tenté d’illustrer l’idée selon laquelle le souvenir est l’unique manière de freiner la course du temps sans pour autant prétendre l’arrêter.

 

Dans le livre Imzad j’ai réuni toutes mes photographies collectées tout au long de ma vie. J’ai essayé de réaliser cet ouvrage en le présentant comme une invitation à un voyage pour comprendre l’âme touarègue. Cette âme, conjuguée à une nature d’une impressionnante majesté et d’une beauté indicible, a su faire prévaloir ses valeurs à travers une expression culturelle alliant grandeur et simplicité. Il me fallait présenter la meilleure façon de contribuer à faire connaître, comprendre, aimer et respecter une culture portée par un instrument musical aussi rudimentaire que l’imzad.

 

Rattraper la vie par la photographie, fixer l’immatériel, capter les attitudes de ces choses infimes qui passent comme une ombre furtive, comme un regard, telle a été mon objectif lorsque j’ai entrepris la réalisation de cet ouvrage. Je me suis appliquée à écrire et fixer l’image pour ne pas perdre les instants, les instantanés des scènes , afin de mieux connaître et faire connaître un art ancestral que l’homme a modelé à son image.

 

De nombreuses recherches et études ont été menées pour expliquer la dynamique historique de l’imzad dont on sait qu’il a connu un déclin brutal de nature à affecter gravement la mémoire collective des Touareg. Il est heureux que ces dernières années il ait pu regagner ses lettres de noblesse.

 

Par quel artifice de la providence un patrimoine immatériel millénaire aussi riche évoluant autour de l’imzad, cette vielle monocorde fabriquée avec des éléments naturels et maniée avec habileté par des femmes qui en maîtrisent le pouvoir, a-t-il pu survivre ?

Les documents photographiques que j’ai réalisé durant ces trois dernières décennies ainsi que les enquêtes effectuées sur le terrain sont mon témoignage pour faire renaître cette richesse culturelle que je voulais à tout prix faire connaître pour la préserver et la valoriser dans l’intérêt de l’humanité, de la nation algérienne et du peuple touareg.

Il fallait sauver l’imzad. Un grand pas fut accompli en ce sens par l’UNESCO lorsqu’elle l’inscrivit dans la liste du patrimoine immatériel de l’humanité le 04 décembre 2013.

 

L’un des pans importants qui fait partie intégrante de ce patrimoine reste la poésie qui accompagne l’imzad. Cette poésie est profonde mais également porteuse d’informations tout autant que les gravures ou peintures rupestres de la préhistoire. Grâce à elle, les récits de la vie quotidienne que l’imzad a chantés à travers les siècles nous permettent d’aborder l’étude sociologique et historique de la région avec des données précises. Il m’a été donné de répertorier près de trois cents poésies chantées que j’ai l’espoir de faire publier non pas en mon nom mais au nom d’un patrimoine culturel mondial de l’humanité.

 

L’imzad faisait ainsi son entrée dans l’histoire des cultures du monde ; plus personne ne pourra l’ignorer et il ne sombrera plus dans les arcanes et les profondeurs de l’oubli. Cette résurgence, nous la devons à des hommes et des femmes qui y ont œuvré inlassablement,  infligeant un heureux démenti à ces propos du grand poète Shams de Tabriz :

« Je regardais les mystères des mondes d’en haut et d’en bas

Je croyais que tous les hommes voyaient la même chose

J’ai fini par comprendre qu’ils ne voyaient pas. »

 

Car, dans les confins du désert, les hommes ont pu voir. Si une pensée ou un souvenir traverse notre esprit, la nuit, on a tôt fait de l’oublier si on ne le note pas ou si on ne le matérialise pas…

 

Y-a-t-il des pensées ou des souvenirs importants dans la seconde et qui ne le sont plus l’instant suivant ? À moins que l’oubli ne soit un mode de vie, tout peut être rattrapé.

Il suffit d’être attentif pour comprendre l’histoire de l’imzad. Ma raison d’être a été de livrer quelques aspects vivants en guise de contribution à l’effort de tous ceux qui ont toujours refusé d’abdiquer devant l’oubli. Cette nouvelle ère du numérique nous offre l’opportunité de faire vivre l’IMZAD éternellement.

 

Œuvrer à la préservation et la sauvegarde de cette culture millénaire en la partageant et en la faisant connaître au monde entier a toujours été mon but ultime.

 

« Il y a des faibles qui sont forts et des forts qui peuvent être faibles ; la certitude n’est jamais acquise », nous enseignent les anciens sages Touareg.

 

Pour la découvrir cliquez sur ce lien et tous ensemble, chantons l’imzad !

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Farida Sellal

Farida Sellal

Universitaire, auteur, photographe, artiste-peintre épouse et mère de famille.