Je me suis perdue…
C’était il y a longtemps, dans les années 70 dans le Hoggar au fin fond du désert algérien que mon histoire avec le désert avait commencé sur le plateau du Timissao, au sud-ouest de Tamanrasset.
Les Touareg qualifient le Timisso de Akal-n-Essuf qui veut dire la terre du vide et de la solitude, c’est là que je me suis perdue. Errant pendant trois jours et trois nuits, le jour sans repère sous le soleil torride, la nuit me recroquevillant à même le sable dans le froid glacial, sous le regard lointain, lumineux et rassurant de milliards d’étoiles.
Entre ciel et terre, j’ai marché, arpentant au hasard les dunes de sable à travers de longs couloirs bordés de rochers. Un véritable labyrinthe. Un vent léger me caressait le visage. C’était un souffle d’une douceur infini après la tempête de sable qui m’avait jetée, pantelante sur ce parcours incertain.
Et malgré les protestations de mes membres endoloris, je ne me rappelle pas avoir gémi ou pleuré. Enroulant mon chèche autour de ma tête, je m’étais réfugiée dans une anfractuosité de la paroi rocheuse d’où je dominais un champ de dunes parsemé de pierrailles. Le coucher du soleil avait été d’une beauté à faire oublier toutes les sensations d’ici-bas, les exigences du corps et jusqu’à son existence physique.
Le temps se figea.
Un instant, un bref instant.
J’étais seule.
Un monde sans chemin, sans espace, sans air.
Sans mains, sans yeux…
L’âme à nu, dans l’extrême nudité de soi-même.
C’était un monde qui me narguait à m’arracher les tripes.
Un monde sans mots.
Le vent s’était retiré me laissant seule face à un autre espace de silence.
Le désert venait de me donner la force de m’extraire à ce temps.
Je me rappelle du sacre de ce jour qui relève l’aube effacée par la lumière du soleil. Mon regard interrogeant le ciel ricochait sur les pans de la falaise qui m’avait offert un abri. C’est là que je découvris l’évidence du monde.
Mon âme s’était mise à l’écoute en cette terre de silence et de pierres faites de vie. Pierres de paroles et paroles de pierre…
Cachée loin des yeux de la prière vive de toutes les nuits venues de toutes étoiles d’un autre temps, une fresque. Au matin, un message surgit des parois rupestres.
En cette luxuriante matinée, au cœur du calme de ma solitude et de ma détresse, brûlant ma mémoire, corps à corps je n’en croyais pas mes yeux : des silhouettes d’hommes sur des chevaux qui galopaient en se détachant de la paroi rocheuse volaient vers moi à la vitesse de la lumière.
Leurs quatre pattes avant et leurs quatre pattes arrière en extension les chevaux sont saisies dans leur élan. La tête et le corps de l’animal sont dédoublés et le cavalier sur sa monture, une main serrant la bride et l’autre levée en l’air orchestrait le mouvement. Ils arrivaient tous vers moi comme pour me presser de me redresser et de me remettre en marche.
Par-delà l’espace et le temps, je venais de sauter un gap sans le savoir.
Je venais de traverser l’espace et de remonter le cours des âges jusqu’à l’ère des antiques Hommes du désert.
Péniblement, ma main se tendit vers cette nuée vivante de personnages de cet autre temps qui m’enveloppait dans une infinie tendresse.
Le désert m’apprenait ainsi que je n’étais plus seule.
Ce message hors du temps est resté gravé. Dés années après je suis repartie à cet endroit, je me suis assoupie au creux de cette cavité… Ils étaient toujours là m’attendant dans le silence infini de l’éternité.