Désert

Mon engagement

L’imzad est aux touareg ce que l’âme est au corps”
m’avait dit ce jour là, Feu l’Aménokal Hadj Moussa Akhamouk.

 

En 2002 lorsque je suis repartie à Tamanrasset à la recherche de la joueuse d’imzad qui m’avait sauvée la vie, je retrouve Seddik Khetali le chauffeur guide que j’avais à la direction de wilaya à Tamanrasset. C’est lui qui était avec moi lors de cette fameuse mission qui avait failli me couter la vie mais qui m’avait appris à aller dans l’extrême limite tout au fond de moi. En lui parlant de l’imzad, il me regarda, releva son chèche sur son nez pour cacher son émotion, et il me dit: “Viens, une personne te parlera mieux que moi de la situation de l’Imzad.” Et c’est ainsi, qu’il m’emmena voir l’Aménokal Feu Hadj Moussa Akhamok.

Dans la grandeur de la sagesse qui appelle aux vertus les plus élevées donnant un sens à l’individu à la recherche en lui même de ses valeurs, l’Aménokal me reçu et me parla en ces termes:


“Qui ne se rappelle pas des grandes réunions littéraire et musicale de l’Ahal?  La légende du désert et de ses valeureux guerriers qui y étaient vantés dans un discours poétique. Qui ne se rappelle pas des joueuses de l’Imzad, cet instrument musical qui accompagne la diction des exploits chevaleresques de nos grands guerriers ? L’imzad qui est aux touareg ce que l’âme est corps. L’imzad qui transporte et transforme les hommes en combattants intrépides prompts à faire parler la poudre et le glaive. “.


Relevant son chèche, il se tut un instant, et après un soupir il poursuivit:


“Tu es venue, il y a longtemps, tu as apporté avec toi la télévision qui a disloqué, détruit nos rencontres d’imzad et d’ahal. Il ne reste plus que quatre ou cinq joueuses d’imzad dans tout le Hoggar. Il n’y a plus de poésie. Notre culture, nos traditions sont entrain de s’éteindre.”


Il parlait avec une tristesse que je ne saurais d’écrire.


 “Je parle peut être avec nostalgie du temps passé, des récits de Moussa Amestane, d’Akhamouk ag ihemma, de Meslagh ag amayas, de Bey Akhamouk, ces grands dignitaires Amenokal de l’Ahagar, mais je pense aussi à la symbiose qui a toujours rapproché les gens du Sahara de ceux des hauts plateaux et du Sahel”


L’émotion que je garde de ce jour là me transperça le coeur à jamais. Et à ce moment là, ma décision fut prise. Je regarde Seddik qui était assis non loin de nous:


“Seddik, es-tu prêt à m’aider de retrouver les vieilles joueuses d’imzad et à Sauver l’Imzad”


Le mot est sorti à cet instant: “Sauver l’Imzad”.


En m’entendant prononcer ses paroles, l’Aménokal se leva et sans prononcer un mot il parti puis revint avec un imzad à la main.


“Je devais remettre cet imzad au président Bouteflika mais c’est à toi qu’il revient, car c’est toi qui rétablira l’ordre des choses. Je te le confie”


Je le quittais en lui promettant de revenir le voir pour lui proposer un plan d’action.

Seddik m’emmena alors chez Alamine Khoulen  qui m’accueillit avec sourire rayonnant d’affection. Elle s’empressa de prendre son imzad. Nos retrouvailles restent en ma mémoire comme le plus beau trésor que je m’étais jurée de garder précieusement.


C’est avec Alamine Khoulen et Seddik Khetali que nous avons convenu de créer une école d’imzad avec la mise en place d’une association que nous appellerons “Sauver l’Imzad”. L’engouement du défi à relever était tel que toute la population a adhéré au projet. Feu Hadj Moussa Akhamok a été notre président d’honneur, l’action a été lancée. 

Jadis, on jouait souvent de l’imzad à l’occasion d’une réunion galante. On se réunissait encore autour de l’imzad jusqu’au coucher du soleil, heure où l’on se séparait. Certains allaient rassembler leurs troupeaux, d’autres vaquer à leurs affaires, et cela jusqu’à la tombée de la nuit. La soirée, conviviale, reprenait ensuite jusqu’à l’heure de la traite des troupeaux sous un ciel étoilé ; les notes graves et aiguës de l’imzad, un refrain ; des mots se drapant de sons, fascinaient les convives dans le silence divin et infini du désert.

L’imzad est un instrument réservé exclusivement aux femmes. Aucun autre instrument ne lui est associé. Sur l’air de l’imzad, l’homme chante et, seul le son de sa voix est admis à se mêler à celui de l’instrument. Chaque évènement, n’importe quel détail de la vie, tout est rimé ou chanté. La valeur donnée à cet acte en lui-même est particulière, l’ambiance et l’atmosphère en sont tout le charme.


Loin d’être un simple instrument de musique, l’imzad représente à la fois le passé et le rêve des Touareg. Il raconte leur culture, leur amour du beau, leur vie et ce sentiment grandiose de liberté mettant en valeur poétiquement leur fierté légendaire. Fait de leur quotidien, il mène leur vie d’une génération à l’autre, d’un amour à l’autre, et d’un espoir à l’autre. Les jeux de l’Imzad se font assez souvent sous un ciel étoilé. Son jeu émeut les hommes au plus profond de leur âme.


Dans les poèmes de l’Ahaggar, récités ou chantés, tout était invoqué, de la vie pastorale à l’épopée guerrière, du chant d’amour courtois aux poèmes martiaux, pour séduire la bien-aimée…. Et le violon imzad devenait l’émissaire de l’Eternel.

« J’adore humblement les actes du Très Haut

Qui a donné au violon mieux qu’une âme,

Au point que dès qu’il joue les hommes se taisent

Et que leurs mains se posent au litham pour le rabattre

Afin de cacher leur émotion (*).

Les soucis de l’amour étaient sur le point de me mettre au tombeau,

Mais grâce au violon, ô fils d’Aïchoum !

Dieu m’a rendu la vie. »

Poème anonyme, mis en musique par Maurice Jaubert dans Chants sahariens : cinq poèmes touaregs
(*)Le litham est une partie du voile. Les hommes en rabattent la partie supérieure, de sorte que même les yeux sont cachés pour ne laisser paraître aucune marque d’émotion.

L'imzad, Un savoir, une poésie au féminin

Si l’histoire des Touaregs est intimement liée au désert, elle l’est aussi grâce au rôle essentiel joué par la femme. En effet, originellement, le premier noyau Touareg a été constitué par la noble  TIN HINAN et sa servante TAKAMA. D’ailleurs, l’art et la musique étaient leur domaine réservé. Cet instrument reste toujours aussi prisé, et les hommes accompagnent  le son de l’imzad par des vers chantés et cadencés par leur ho-hôo notamment dans les soirées de  de l’illustre « Ahal »…

 

                                 En 2002

Seules quelques vieilles dames se partagent ce savoir.

                                 En 2002

Grâce au cœur de ces femmes, le cœur de cette culture bat encore…

 

               Il nous fallait penser à demain

Si nous n’avons pas aidé  les dernières de ces virtuoses à perpétuer l’Imzad, c’était toute une histoire, une épopée, et un savoir qui vont être engloutis dans l’abîme de l’oubli. Ce drame revêtait une dimension humanitaire car, il avait abouti à la disparition irréversible d’une culture et d’un patrimoine universel inestimable.  

La nécessité de créer une association pour “SAUVER L’IMZAD” s’imposait à moi. Ma décision était prise. 


J’ai arrêté mes engagements contractuels avec l’ONUDI. Je me suis engagée avec Fondation Désert du Monde. Pris une année sabbatique. Je me suis inscrite à l’Algérie en France 2003. et dés janvier 2003, je commençais ma campagne de sensibilisation en Algérie et dans le monde.

L’objectif était de procéder à la conservation et à la sauvegarde de ces airs venus des profondeurs d’un passé millénaire en répertoriant les musiques et les chants en fonction des genres et les modes.


Préserver cet élément du patrimoine immatériel de l’humanité, faire revivre la poésie touarègue empreinte d’une mélodie céleste venue des profondeurs d’un peuple épris d’amour et de liberté vivant dans l’espace merveilleux et féerique du Hoggar, est une œuvre historique et musicale d’importance majeure.