Désert

L'histoire

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L’émotion que nous procure le désert irrigue nos organes d’une drogue dont il est difficile de guérir.
Le vertige de nos silences nous plonge dans nos abysses les plus profonds. Face à la lumière de ces silences, un autre silence se fait, un silence intérieur qui amène la paix avec soi.
La grandeur de ces espaces solitaires et éternels nous charme et nous remplit de cette émotion qui reste en nous gravée à jamais.
Oui, c’est dans mon désert que je vous invite !
Mon désert est SAHARA. Certes mon initiation au désert a commencé avec la poésie des gens du désert et particulièrement ceux du Hoggar qui racontaient les histoires de Dassine et du grand chef Moussa Ag Amestane. Celui-ci aimait dire : « La flûte de roseau ne chante jamais aussi bien que dans la solitude de l’espace où seul le silence l’écoute. Homme, il faut savoir te taire comme le silence pour écouter le chant de l’espace. Qui assure que la lumière et l’ombre ne parlent pas ? Ceux-là seuls qui ne comprennent pas le langage du jour et de la nuit. »

Il était une fois un désert.
Un désert pas comme les autres…
C’était entre l’Ajjer et l’Ahaggar,  suspendu entre les airs, défiant le temps et l’espace…
Il était une fois, un espace qui se fixe en nous, au creux de notre vie et de notre existence.
Il est vrai qu’en ces nuits sahariennes on pénètre un royaume, celui des silences: notre silence face au silence des autres … Face au silence de ce désert.
Notre moi se fond et se confond en une symbiose, alors, le désert nous parle. On reste sans voix. Au fond du désert, celui que l’on retrouve enseveli au fond de soi même, chaque élément palpite du macro au micropuscule …Tout vibre en nous. Certains l’on appelait un pays de rêve. La couleur, les tons de la lumière….L’espace. Même le temps joue des formes, et à chacun des moments, le paysage s’y adapte. C’est chose surprenante.

Dans ce désert, on avance pieds nus dans le sable ou sur la pierre gravée pour l’éternité. Vérité face à l’évidence du monde.
Est-ce donc dans ce désert que l’on découvre « le désert » que l’on porte en soi?
Est-ce cela l’ombre et la lumière qui se parlent ?
Conscient face au subconscient?
Moussa Ag Amestane ne nous disait-il pas de nous taire pour mieux écouter le chant de l’espace?
Entre le réel et l’irréel, le désert c’est le vide, il n’y a rien. Rien que l’immense étendue pénétrant le ciel. Le ciel n’étant plus au-dessus de nous, mais à côté de nous, devant nous et derrière nous.
Saisies entre deux mondes, au-delà de l’entendement humain, des paroles se font entendre dans un décor en dialogue éternel. Je me suis perdue puis retrouvée… Au creux du silence de mon histoire, je vous invite.

La réponse du silence de ce désert est à l’image de l’émotion éprouvée face aux immensités qui se dévoilent à nous-mêmes tel un souffle profond de liberté.
Le souffle de la liberté vient-il donc des peuples nomades?
Après tout, y a-t-il plus nomade que la liberté?
Y a-t-il plus libre que le nomade?
Les hommes de ce pays parlent peu.
Leur langage,  le « tangalt », privilégie la métaphore et le symbole.
Ne dit-on « Assouf » pour désigner une certaine émotion face au désert?
L’« Assouf » signifie solitude mais aussi désir nostalgique d’une chose qui nous manque. L’«Assouf» est cet état de mélancolie mêlant joie et tristesse, c’est le souvenir d’un bonheur passé mais si présent dans la solitude.
Quelle présence peut-on trouver dans la solitude?

Quand on prononce le mot « désert », l’image qui vient à notre esprit est selon les personnes  un champ de dune, ou un plateau de pierre avec rien qui plane dans l’air. Le mot désert peut aussi donner la sensation de soif, de chaleur torride, d’un soleil accablant. 

 Le mot désert peut également engendrer la sensation de peur. Et pourtant… Pourtant combien ce mot est à l’inverse de ce qu’il prétend être.

Mon histoire commence au sud-ouest de Tamanrasset que les Touareg désignent sous le nom de Ténéré. Ils la qualifient de “Akal-n-Esuf” la terre du vide et de la solitude. Je venais d’être nommée à la direction de wilayas de PTT de Tamnarasset et j’étais en charge de la réalisation du programme spécial sud qui consistait à relier 32 localités isolées au reste du pays. C’était en janvier 1979, lors de la mission sur Timiaouine, qu’une tempête de sable s’est levée dans le Timissao… Alors que le guide et Seddik le chauffeur m’avaient déconseillés de sortir de la voiture, je suis partie dans la tourmente  avec juste mon chèche sur la tête et le burnous que je portais.  

Des années plus tard, en 2002, je suis repartie à la recherche des nomades qui m’avaient retrouvés et de la joueuse d’imzad qui m’avait ramené à la vie. Je n’ai pas retrouvé la vieille dame qui m’a sauvé la vie, mais sa soeur Tahiguel Ag Mansouri, s’est bien rappelée de moi. 

Elle prit l’imzad de sa soeur et me joua l’air qui m’a rendu à la vie. 

“Le temps humain s’est figé” entre ses mains.

Un nuage d’encens enveloppe mes sens. Au son de l’imzad, mes sens retrouvent le sens du cours de ma vie.

Le Timissao : 

C’est à cet endroit que mon histoire commence

et c’est ici que j’ai retrouvé mon chemin. Un message hors du temps m’éleva dans un monde entre rêve et réalité.

Dans le Timissao, entre ciel et terre, j’ai arpenté au hasard les dunes de sable à travers de longs couloirs bordés de rochers. Un véritable labyrinthe. Un vent léger me caressait le visage. C’était un souffle d’une douceur infini après la tempête de sable qui m’avait jetée, pantelante sur ce parcours incertain. L’impitoyable lumière du désert était une torture pour l’œil. Où puisais-je donc la force de ressentir comme un flot de tendresse autour de moi dans cet univers rocheux dont la majesté défiait le temps ? D’où me venait cette sensibilité exacerbée qui me faisait percevoir comme une mélodie le léger déplacement de l’air autour de moi ?  

Le vent ne pouvait pas démentir ma certitude de retrouver ma route. Tôt ou tard. Je continuais donc à marcher, confiant mon sort, la nuit venue, aux étoiles folles qui s’arrachaient le ciel. Et malgré les protestations de mes membres endoloris, je ne me rappelle pas avoir gémi ou pleuré.

Enroulant mon chèche autour de ma tête, je m’étais réfugiée dans une anfractuosité de la paroi rocheuse d’où je dominais un champ de dunes parsemé de pierrailles. Le coucher du soleil avait été d’une beauté à faire oublier toutes les sensations d’ici-bas, les exigences du corps et jusqu’à son existence physique.

Le temps se figea.

Un instant, un bref instant.

J’étais seule.

Un monde sans chemin, sans espace, sans air.

Sans mains, sans yeux…

L’âme à nu, dans l’extrême nudité de soi-même.

C’était un monde qui me narguait à m’arracher les tripes.

Un monde sans mots.

Le vent s’était retiré me laissant seule face à un autre espace de silence.

Le désert venait de me donner la force de m’extraire à ce temps.

Je me rappelle du sacre de ce jour qui relève l’aube effacée par la lumière du soleil. Mon regard interrogeant le ciel ricochait sur les pans de la falaise qui m’avait offert un abri. C’est là que je découvris l’évidence du monde. Mon âme s’était mise à l’écoute en cette terre de silence et de pierres faites de vie. Pierres de paroles et paroles de pierre…

Cachée loin des yeux de la prière vive de toutes les nuits venues de toutes étoiles d’un autre temps, une fresque. Au matin, un message surgit des parois rupestres.

En cette luxuriante matinée, au cœur du calme de ma solitude et de ma détresse, brûlant ma mémoire, corps à corps je n’en croyais pas mes yeux : des silhouettes d’hommes sur des chevaux qui galopaient en se détachant de la paroi rocheuse, volaient vers moi à la vitesse de la lumière.

Au-dessus de ma tête des animaux, des hommes toute une scène de vie…

Au seuil de mon ignorance, une armada en mouvement me réveille.

Leurs quatre pattes avant et leurs quatre pattes arrière en extension les chevaux sont saisit dans leur élan. La tête et le corps de l’animal sont dédoublés et le cavalier sur sa monture, une main serrant la bride et l’autre levée en l’air orchestrait le mouvement. Ils arrivaient tous vers moi comme pour me presser de me redresser et de me remettre en marche.

Par-delà l’espace et le temps, je venais de sauter un gap sans le savoir.

Je venais de traverser l’espace et de remonter le cours des âges jusqu’à l’ère des antiques Hommes du désert. Péniblement, ma main se tendit vers cette nuée vivante de personnages de cet autre temps qui m’enveloppait dans une infinie tendresse. Le désert m’apprenait ainsi que je n’étais plus seule.

Texte tiré de Emeraude – Farida Sellal – Casbah Editions 2019.